• Trois

    Une courte nouvelle, sur une idée originale (et un rêve) de Jenny. Ambiance ménage et angoisse, je vous laisse découvrir tout ça !

         "Frotte fort, Irika ! Il faut que tout soit propre ! Plus fort que ça !"
         La Vieille s'impatiente, comme toujours. Elle frotte de son balai-brosse avec une obstination frénétique ; l'eau savonneuse mousse à n'en plus finir. Irika, à même le sol, s'échine à faire briller les lames du plancher avec sa misérable petite brosse. Sans lever les yeux du sol, la fille finit par oser :
         "Mais pourquoi c'est toujours moi qui doit faire le plus dur ?
         - Hein ? Ne dis donc pas de sottises ! Frotte au lieu de parler ! Tu crois que j'ai demandé, moi, pourquoi je fais le ménage tous les jours, et pourquoi le Bon Dieu nous renvoie sa crasse toutes les nuits, si bien qu'il faut recommencer dès le lendemain ? Frotte je te dis !
         - Oui, mais...
         - ... ça suffit !"
         La Vieille a haussé le ton. Irika a sursauté, puis s'est remise à frotter de toutes ses forces. Tous les meubles sont rassemblés dans un coin de l'entrée, en face de l'escalier. Derrière la Vieille, la Porte. Fermée, comme toujours. Irika y jette de légers coups d'oeil, elle ne devrait pas. Elle sait, mais c'est plus fort qu'elle. Elle essaie de se concentrer sur le sol qu'elle frotte dur, mais l'absence de tache et de crasse l'en empêche. Le sol est impeccable, elle frotte dur, mais trouve ça bête ; de même que cette porte fermée. Soudain, un léger couinement aigü se fait entendre. La vieille marque un léger temps d'arrêt avant de reprendre de plus belle.
         "Saleté de souris ! Il y aurait des rats que ça ne m'étonnerait même pas ! Saleté, saleté ! Irika, prends le balai-brosse et grimpe là-haut ! Nettoie-moi les marches de l'escalier, et que ça brille !"
         Irika s'empresse de s'emparer du balai, et grimpe les marches quatre à quatre. Arrivée en haut, elle frotte consciencieusement. Pour une fois qu'elle a droit au balai, elle semble accomplir son labeur avec un curieux plaisir. Les marches étant un peu moins propres, ses gestes semblent avoir un peu plus de sens. Si la Vieille n'était pas si imprévisible, on sentirait presque une envie de siffloter. Arrivée à la troisième marche, le couinement se fait entendre à nouveau, suivi d'un bruit sourd. Ne te détourne pas, Irika, frotte ! Elle jette un oeil en bas ; la Vieille n'est plus là, et la Porte est entrouverte. La lumière du jour dessine une fenêtre au sol ; au milieu d'un de ces carreaux dessinés, des traces rougeâtres. Irika est déjà en bas de l'escalier ; à la fois appeurée et fascinée par cette Porte ouverte devant elle pour la première fois, elle s'avance peu à peu, laissant choir le précieux balai au sol. La Vieille surgit alors sur le seuil et s'interpose :
         "Qu'est-ce que tu fais là ?! Ne t'ai-je pas dit de me décrasser ces marches ? Retourne vite là-haut avant que je me fâche !"
         Irika ne paraît pas entendre ce que dit la Vieille. Cette dernière n'est apparemment qu'un obstacle sur sa route, qu'elle essaie de contourner. La Vieille s'énerve, gesticule, finit par pousser violemment Irika, qui tombe sur les fesses. Celle-ci se relève, se jette contre la Vieille en hurlant :
         "Je veux entrer, je veux entrer, je veux entrer !"
         Des larmes de rage perlent sur son visage rougi de colère. Elle tape la Vieille de toutes ses forces, mais rien n'y fait. La Vieille, intangible, la pousse à nouveau, si fort qu'Irika recule de plusieurs mètres pour se cogner contre le mur. Elle réalise l'ire de la Vieille, qui se rue sur elle, lui donne une claque :
         "Ne t'ai-je pas dit de me décrasser ces marches ?!"
         La Vieille est rouge pivoine. Sa voix est déformée par la haine. Irika pleure toujours, mais ses larmes ont changé ; de rage, elle se sont faites peur. La Vieille lui donne des claques sans discontinuer, puis la prend à la gorge :
         "Je ne peux donc pas compter sur toi non plus ?"
         Elle a les yeux exorbités et tremblant, la pupille perçante, tandis qu'Irika commence à s'étouffer, essayant tant bien que mal de se dégager de la prise de sa prédatrice. C'est alors qu'une lumière blancheâtre surgit en un éclair entre la femme et la fillette. Elle se matérialise sous la forme d'une autre fille, au visage à la fois triste et menaçant. Elle hurle.  La Vieille sursaute en arrière de peur, lâchant ainsi sa proie. Devant l'étrange apparition, elle recule de quelques pas. La silhouette crie :
         "Je ne te laisserai pas lui faire ce que tu m'as fait ! Je ne resterai pas là à te regarder lui faire du mal !"
         C'est au tour de la Vieille de crier ; stupéfaite et terrorisée, elle s'enfuit vers la cuisine. La fille se retourne vers Irika ; elle semble plus sereine, bien que son visage garde les traces d'une profonde tristesse. Terrorisée, Irika n'ose plus un geste, jusqu'à ce qu'elle ose regarder à nouveau son spectre salvateur ; elle croit d'abord voir son propre reflet, puis... Marina... elle n'en revient pas :
         "Marina ?! C'est bien toi ? Oh non ! Non ! Mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
         - Plus tard Irika, plus tard. Elle va revenir, elle va revenir ! Ne reste pas là, pars, pendant qu'il est temps, pars !
         - Mais, pour allez où ? Je n'ai personne dehors.
         - Pars te dis-je, c'est dangereux ici, elle va revenir, elle est folle, elle..."
         La Vieille, revenue de la cuisine, se jette de tout son poids vers Marina, brandissant un couteau de cuisine. Passant au travers du fantôme, le couteau vient s'empaler dans le torse d'Irika, alors que l'apparition s'évanouit, le visage plus triste que jamais. Irika essaie de prononcer quelque chose, crache du sang en guise de dernières paroles. La lame a défoncé sa cage toracique et transpercé son coeur pour venir la clouer au mur. La Vieille se relève, abassourdie. Pendant un temps, elle ne sait que faire, les yeux plongés dans le regard d'Irika qui s'éteint. Elle finit par retirer la lame. Le corps inerte s'écrase au sol dans un claquement de tambour, le sang s'écoule en une mare rouge sombre. La Vieille le prend par les pieds, et le traine jusqu'à la pièce interdite. Le corps gît à présent aux côtés de celui de Marina et du mien. Alors que je m'élève sans plus pouvoir résister, la Vieille referme la Porte, ramasse le balai-brosse au bas des escaliers, et se remet à frotter.


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