• Des raisons d'écrire

    Un mini-essai et, également, un essai de genre différent.

    L’écriture est historiquement considérée comme le signe de la transition humaine de la préhistoire vers l’histoire ; comme si tout ce qui avait été avant n’existait pas ou, du moins, ne consistait qu’en une sommaire entrée en matière. Pourtant, l’humain avait commencé à se raconter, en témoignent les fresques murales retrouvées dans certaines grottes. Seulement, avec l’écrit, le récit se condense, se formalise et se transmet. Il se condense en ce que quelques signes suffiront à évoquer toute une fresque ou encore des idées abstraites que l’on aurait eu bien du mal à représenter graphiquement. Il se formalise car des règles s’installent autour de l’écrit pour qu’un consensus se construisent autour des manières de représenter tel son d’abord, puis telle ou telle chose. Il se transmet de manière révolutionnaire : l’écrit permet le transport du récit, sur des supports plus pratiques et légers, ainsi que sa reproduction aisée, le talent figuratif étant remplacé par l’apprentissage des signes utiles. Depuis, l’humain n’a eu de cesse de s’écrire et la mort annoncée du livre, qui n’a pas eu lieu, n’y a rien fait. Tout au contraire, l’écrit a envahi nos écrans, nos murs et le fond de nos sacs.

    Héritier légitime de toute cette puissance, l’écrivain défend son legs du pillage auquel il assiste chaque jour : citations à tout va, fautes omniprésentes, jeux de mots faciles et sans aucune portée… Il s’indigne, au moins intérieurement, des blessures infligées à l’écrit. Puis, il décide de se battre et de défendre ses belles lettres : il fait ce qu’il sait faire de mieux, il construit un nouveau récit dense aux plus belles formes et souhaite le transmettre au plus grand nombre. Il veut que tout le monde lise beaucoup et, surtout, ce que lui-même a écrit.

    C’est là où le drame s’installe : quand l’homme à la plume s’installe devant sa feuille et qu’elle reste blanche. Quand le curseur clignotant sur l’écran est le seul signe apparent que l’ordinateur n’est pas en train de s’endormir sur son traitement de texte. L’écrivain endosse alors tout le poids du monde sur ses épaules : Incapable de représenter son monde et de s’adresser au monde entier, il semble se replier et s’enfermer sur lui-même. Alors, comment diable l’aider, ce petit être fragile coupé du monde ? Veut-il bien, déjà que quiconque lui vienne en aide ?

     

    Cette chrysalide est le signe d’une mutation qui s’opère en l’humain qui écrit et nul ne sait, pas même lui, quel papillon va en sortir. Il s’agit parfois d’un être nouveau qui, pressé de battre de ses nouvelles ailes, en oublie sa plume dans le fond du cocon éventré. D’autres fois, c’est encore l’écrivain qui revient, plus fort et déterminé que jamais à proposer sa version du monde, réel ou imaginé, muni cette fois de défenses contre l’indifférence. Coûte que coûte, il enchaînera les lettres quitte à ce qu’elles ne soient jamais lus par d’autres que lui-même, pour une postérité toute personnelle qu’il ne peut s’empêcher d’imaginer éternelle.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :